lundi 28 février 2011

Le canyon de l'Embuscade Mortelle des Indiens



-Halte !
Le lieutenant Cooper ordonne à ses hommes de s’arrêter. Quelques chevaux hennissent. Ils ont soif, mais ce n’est pas encore le moment de se reposer.
-Nous allons entrer dans le Canyon de l’Embuscade Mortelle des Indiens !
Le soldat Zane lève la main.
-Je n’aime pas trop passer par ce canyon, lieutenant !
-Ah bon ? Et pourquoi ça, soldat ?
-Un mauvais pressentiment…
Le lieutenant Cooper dévisage le soldat Zane.
-Gardez vos pressentiments pour vous ! La cavalerie américaine est au-dessus de ça !
Quelques soldats lèvent la tête.
-C’était une façon de parler ! grogne le lieutenant.
Le soldat Grey tend le bras vers les premiers contreforts du canyon.
-Non, mais on a vu des Indiens là-bas !
Cooper se retourne et scrute les rochers.
-Je ne vois rien.
-Si si, je vous assure, il y en avait trois !
-Quatre ! précise le soldat Twain.
-Je ne vois rien, répète le lieutenant.
Les rochers restent immobiles, c’est quelque chose qu’ils savent bien faire. L’un d’eux a une plume d’aigle qui dépasse.
-C’est quand même bizarre, ce rocher avec une plume, marmonne le sergent London.
-Vous trouvez, sergent ? demande le lieutenant.
Le sergent London est plutôt avare en paroles habituellement, et le lieutenant Cooper a appris à tenir compte de ses réflexions.
-Vous êtes sûr que vous trouvez ça bizarre, sergent ?
-Affirmatif, mon lieutenant !
Cooper se tourne vers ses hommes.
-Qui d’autre trouve qu’un rocher avec une plume d’aigle est bizarre ?
Vingt cavaliers, sur les vingt-cinq que compte le détachement, lèvent la main.
-Et les autres ?
Le soldat Zane prend la parole :
-Moi, je ne sais pas si j’aurais dit « bizarre » ! Je trouve ça plutôt « incongru », mon lieutenant…
Le lieutenant sort son petit carnet et note le mot.
-« Incongru »… très bien… qui d’autre ?
Le soldat Peckinpah prend la parole que lui tend le soldat Zane :
-Eh bien moi je trouve ça un peu « excentrique » pour un rocher !
-« Excentrique »… très bon, ça !
C’est au tour du soldat Ford :
-Moi, ça m’est égal, ce rocher fait bien ce qu’il veut, si vous me permettez, mon lieutenant !
-C’est un avis qui n’engage que vous, Ford !
Le soldat Twain s’avance alors :
-En fait, j’avais dit que je trouvais ça bizarre, mais finalement, après avoir entendu Zane, je trouve ça « incongru » moi aussi !
-Moi aussi ! dit le soldat Fenimore.
-Ah non, personne ne change d’avis, sinon on ne va pas y arriver ! s’écrie le lieutenant Cooper. Et vous, Wayne, on ne vous a pas entendu !
-J’hésite, mon lieutenant ! Parce que en même temps je trouve ça bizarre, et en même temps, si on part du principe qu’il y a peut-être un Indien caché derrière, ça prend sens, vous voyez…
Le lieutenant prend un air de concentration. Il n’en a emmené qu’un ce matin, mais il se dit que c’est le bon moment pour l’utiliser.
-Vous n’avez pas tout à fait tort, Wayne ! Je n’y avais pas pensé…
Tous les regards se tournent vers le rocher.
-Oh ! s’écrie Zane. Il y en a un autre !
-Oui, dit Grey, mais celui-ci a une plume de corbeau, non ?
-Exact ! Une plume de corbeau, c’est tout à fait ça ! Tenez, vous avez bien gagné votre badge « Ami des oiseaux », mon vieux !
-Merci, mon lieutenant !
La cérémonie de remise d’un badge est un évènement important dans la vie du régiment. Les cavaliers mettent pied à terre, époussettent leur chemise, sortent leurs gants blancs d’apparat et font briller leur sabre. Et c’est avec émotion que le lieutenant Cooper remet son badge à son subalterne, car il est fier d’avoir de tels hommes sous ses ordres !
La cérémonie achevée, chacun remonte à cheval.
-Oh ! s’écrie Peckinpah. Encore un autre rocher avec une plume !
Tout le monde regarde avec attention.
-Attendez, attendez, je reconnais cette plume !
-Oui, moi aussi, euh… une plume de mésange ?
-N’importe quoi ! C’est une plume de faucon !
-Non, non, c’est une plume d’oreiller !
Le lieutenant coupe court à la querelle.
-C’est une plume de caneton ! affirme-t-il.
-Elle est bien trop grande, mon lieutenant, dit le sergent London. Et en plus elle est bleue.
Le silence gêné dure deux minutes quand même.
-C’était un gros caneton ! tranche le lieutenant. Bleu. Et à l’avenir, sergent, quand j’aurai besoin de votre avis, je vous ferai signe !
Le soleil se met alors à sonner doucement dans le ciel.
-Ding ding ding…
Le lieutenant Cooper sort sa montre. Il l’ouvre et un petit éclat d’amour vient se loger dans son œil. Le portait de la douce Mary lui sourit tendrement.
-Je vous ai parlé de Mary, sergent ?
-Je croyais qu’elle s’appelait Anna, mon lieutenant !
Le lieutenant referme sa montre.
-Vous êtes sûr, sergent ? Bah, peu importe, il est l’heure de rentrer au fort, on a un peu trop traîné avec ces histoires de plumes ! On passera le Canyon de l’Embuscade Mortelle des Indiens une autre fois !
La petite troupe fait demi-tour, et le nuage de poussière qui la suit disparaît bientôt à l’horizon.

Alors, une voix s’échappe de l’un des rochers.
-Tu crois vraiment, toi, que c’est un peu trop excentrique ?

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