dimanche 8 avril 2012

Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #1


Le temps est impitoyable avec les hommes, et il ne fait pas exception pour moi. Me voici, je le sens, au terme d’une vie faite d’aventures et d’exploits, chantée maintes fois par les bardes et les poètes. Il me faudra bientôt rejoindre mes amis déjà rassemblés pour le grand banquet de l’éternité. Je n’ai pas peur. A l’aube de ma mort, je ne sais toujours pas ce que ce sentiment veut dire. Mon existence fut bien remplie, suffisamment en tout cas pour que je n’ai pas à redouter ma fin prochaine, que j’envisage sans regrets ni tristesse.
Mais laissez-moi me présenter : pendant longtemps, on me connut comme le Chevalier-Sans-Nom. A l’époque où j’ai décidé de faire commencer mon récit, je ne savais rien de mes origines. Je ne me rappelais d’aucun détail de ma vie avant mes huit ans, âge où je fus recueilli par le duc de Foisdeuquatre, sujet parmi les plus prestigieux du royaume, qui fut comme un père pour moi, et dont la fille, la douce et chaste Rose, fut comme une sœur, et dont le valet de chambre, Jules, fut comme un valet de chambre, et dont le chien, le bien nommé Médor, fut comme un chien.
Pour une obscure raison, une antique tradition interdisait aux ducs du royaume de recueillir des orphelins. Depuis longtemps, cette tradition n’était plus respectée, mais il en restait tout de même quelques traces. Ainsi je ne pus jamais prendre le nom de mon illustre tuteur. Il m’éleva pourtant comme il l’aurait fait de son fils, et il me fit rentrer très vite dans la plus grande école de chevalerie du pays, l’HEC (Haute Ecole de Chevalerie), où je ne tardai pas à me faire une réputation : j’avais en effet développé l’étrange faculté de parler aux arbres. Il était ennuyeux, disait-on, que jamais un seul ne me répondit, mais ce n’était là que remarques amères des jaloux et des aigris, et je fus vite entouré d’amis fidèles comme Joyeudrille, impressionnés, à la limite de l’idolâtrie, par mon incroyable talent.
Le lecteur ne s’étonnera pas en apprenant que je fus très vite nommé chevalier, au cours d’une cérémonie dont je ne peux évoquer le souvenir sans ressentir encore une douce émotion. Mais même alors, fidèle à la ligne de conduite qu’il avait adoptée jusque là, le duc ne voulut m’éclairer sur mon passé. Quand je lui demandais des détails, il se contentait de vagues grognements ou feignait d’être intéressé par le compte-rendu que lui faisait son barde personnel du dernier épisode d’ « Amour, Gloire et Chat botté », alors que nul n’ignorait qu’il avait une sainte horreur de ce feuilleton, qu’il considérait comme l’un des signes avant-coureur du déclin de notre civilisation.
Le nom de Chevalier-Sans-Nom, sans en être un, fut difficile à porter, mais je m’en suis accommodé malgré tout, y trouvant même un certain parfum de mystère qui n’était pas pour me déplaire. Si j’avais su à l’époque combien illustre et loué il deviendrait, je pense que j’en aurais fait une marque déposée pour éviter qu’il ne fût galvaudé comme il l’a si souvent été depuis. C’est d’ailleurs pour réparer nombres d’injustices qui m’ont été faites par des poètes mal renseignés ou pire, en quête de sensationnel, que je me propose par le présent recueil de rétablir une certaine vérité historique.
A cette époque, le royaume des Orangers vivait paisiblement, et notre roi était juste et bon. Le peuple l’aimait, et tous lui rendaient grâce d’avoir su préserver la paix et l’harmonie, et d’avoir même su convaincre une grande puissance étrangère d’implanter près de la capitale un immense parc d’attractions qui attirait chaque année jusqu’à des dizaines de touristes, ce qui était toujours bon à prendre. Bref, le pays prospérait, et rien ne semblait devoir changer le cours des choses. C’est alors que commença mon aventure.

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