Ce fut avec un
immense soulagement que nous arrivâmes après bien du mal dans les appartements
privés du roi. Ce dernier s’assit derrière son bureau et me présenta un siège
en face de lui.
-Un
cigare ?
-Non merci,
fis-je. Je ne fume pas.
-Et vous avez
raison ! Car pour accomplir votre mission, vous aurez besoin de toutes vos
forces.
Aux côtés de
Merlan et de Bovin, qui se tenaient respectueusement derrière le roi, je
remarquai un petit homme étrange déguisé en palmier d’intérieur qui remit une
enveloppe au roi.
-Je vous
présente Pavupapris, notre maître espion. Mais vous le connaissez, je crois.
-Qui ne le
connaît pas, dis-je. Quoique, avec son déguisement, je ne l’avais pas reconnu.
-Vous pouvez
disposer, Pavupapris, dit le roi.
Le palmier
s’éclipsa.
-Vous
trouverez dans cette enveloppe tous les renseignements nécessaires sur Holi
Wood, dont un portrait récent ainsi que divers documents qui pourront vous être
utiles. Pour les obtenir, plusieurs de nos meilleurs agents sont morts.
Je décachetai
l’enveloppe. Elle ne contenait qu’une feuille blanche où seul était écrit le
nom de Holi Wood, sous un portrait grossier qui se résumait à un rond avec deux
petits points mesquins pour les yeux et une bouche qui tirait la langue, ainsi
qu’un bon de réduction de deux écus à valoir sur mon prochain rendez-vous chez
le coiffeur.
-Comme ça,
vous pourrez partir combattre le Mal avec une coupe de cheveux adaptée. Quant
aux documents concernant Holi Wood, je reconnais qu’ils sont un peu maigres.
Mais c’est tout ce que nous avons !
Je rangeai le
dossier dans son enveloppe.
-N’oublie pas
que notre destin est entre tes mains, me dit Bovin avec une légère angoisse qui
faisait trembler sa voix.
-Vous pouvez
compter sur moi ! assurai-je en me levant.
Le roi sortit
alors son porte-monnaie et me tendit dix sous.
-Tiens, me
dit-il. Pour t’acheter des bonbons.
-Votre majesté
est trop bonne.
-Bon, je
résume : votre mission, si vous l’acceptez, est de vous infiltrer dans les
lignes ennemies, de trouver Holi Wood, le terrible Prince des ténèbres, et de
lui flanquer une bonne correction. D’après nos renseignements, il se trouverait
à Czxywitzcultac, une ville au nord-est du royaume, avec son lieutenant Taum
Krouz et le plus gros de son armée. Le général Toultant essaiera de le retenir
le plus longtemps possible, mais le temps nous est désormais compté. Si au
cours de votre mission, vous ou l’un de vos hommes venait à être pris ou tué,
nous nierons avoir eu connaissance de vos agissements. Ce message
s’autodétruira dans trente secondes. Bonne chance, Jim ! Bip bip
bip…BOUM !
-Bien,
Sire !
Je me retirai
le cœur gonflé d’orgueil et d’espoir. J’allais finalement pouvoir révéler au
monde mes immenses talents, et on me reconnaîtrait enfin à ma juste valeur. La
tâche allait être rude, je le sentais, mais loin de me décourager, cette idée
me galvanisait. Et c’est ainsi que commença ma formidable aventure.
* * * * * * * * *
-Ah,
Gilbérald, mon fidèle écuyer ! m’écriai-je. Je te cherchais.
-Me voici, mon
maître.
Il se tenait
devant moi, le sourire servile, attendant mes ordres comme un bon chien
attendrait son os. C’était lui qui, il y avait déjà plusieurs années de cela,
s’était proposé de lui-même d’entrer à mon service. Bien qu’un peu maladroit,
et manquant parfois cruellement de cette présence d’esprit et de ce sang froid
qui me valurent de nous sortir de nombreuses situations inextricables, il
m’avait toujours témoigné un attachement et un dévouement à toute épreuve. De
sa jeunesse, il ne parlait guère, mais j’avais cru comprendre qu’il avait
beaucoup voyagé. Sa connaissance du pays allait certes m’être appréciable.
-Va donc
seller mon cheval. ! lui dis-je.
-Pourquoi, mon
maître ?
Je le regardai
avec impatience.
-Parce que
c’est plus confortable pour voyager, répondis-je. Je vois que tu ne t’es
toujours pas départi de ta mauvaise habitude de poser des questions
idiotes !
Il baissa la
tête, l’air penaud.
-Je voulais
juste savoir où nous allions, c’est tout.
Je levai les
yeux au ciel.
-Mais où
étais-tu donc, ce matin ? m’écriai-je. Tout le royaume est au
courant ! Tu ne sais donc pas que Dieu lui-même m’a chargé d’aller sauver
le monde ?
-Noble tâche.
-Oui, et qui
d’autre que moi aurait pu être désigné pour une mission aussi délicate !
-On se le
demande.
Je le regardai
d’un œil mauvais.
-Nous devons
nous rendre au plus vite à Czxywitzcultac, poursuivis-je.
-Czxywitzcultac ?
-Oui,
Gilbérald, mon fidèle écuyer. La ville la plus importante du nord-est. Là se
jouera le sort du royaume. Mais trêve de bavardages inutiles ! Nous
n’avons perdu que trop de temps ! En route !
Nos bagages
furent vite bouclés, et dans l’heure qui suivit nous quittions le château, non
sans avoir préalablement pris congé du duc et de ma chère Rose. Près de la
grande porte de la ville, Merlan nous attendait. Il vint vers nous avec un air
de visible contentement malgré la gravité solennelle de sa démarche.
-Ah,
Gilbérald ! dit-il, à mon grand étonnement. Maintenant, nous ne pouvons
plus faire demi-tour.
Gilbérald, mon
fidèle écuyer, acquiesça. Merlan se tourna alors vers moi et me dit à la
manière d’un maître d’école s’adressant à son élève :
-Chevalier, la
route que tu t’apprêtes à suivre sera longue et semée d’embûches. Aussi, écoute
bien ce que j’ai à te dire. Mes conseils et mes prédictions ont rarement été
inutiles à qui sait s’en rappeler.
-Je t’écoute,
ô sage Merlan.
-Tu
rencontreras sur ta route de nombreux alliés, même si tous ne t’apparaîtrons
pas comme tels de prime abord. L’union fait la force, chevalier, et tu aurais
tort de ne compter que sur toi-même si tu veux aller au bout de ton périple.
Il fouilla un
moment dans ses vastes poches et en sortit une petite amulette qu’il me remit.
-Porte la en
toute occasion, ne t’en sépare jamais. C’est une amulette que je tiens d’une
ancienne princesse aujourd’hui disparue. A ce titre, elle a de grands pouvoirs.
En cas de grand danger, elle saura t’aider.
Je passai
l’amulette autour du cou. Aussitôt, un étrange sentiment de bien-être
m’envahit.
-Bien,
continua Merlan. A présent, quelques petites recommandation avisées qui je
pense te seront profitables : parfois, tu seras tenté de poser des
questions trop indiscrètes. Cela ne peut t’apporter que des ennuis, car la
curiosité est un vilain défaut. Couvre-toi bien, car les nuits sont fraîches, et
il serait dommage que tu attrapes froid. Lave-toi bien les dents après chaque
repas.
Je ne pus
dissimuler une certaine impatience.
-Oui, c’est
ça, dis-je en piquant ma monture des talons. A bientôt, sage Merlan !
-Bonne chance,
chevalier ! Et n’oublie pas, les chats noirs sont source de malheur, et le
vendredi treize est un jour funeste. Si tu rencontres un jour une jeune fille
bossue à la peau bleue qui te dit qu’elle est philatéliste, jette trois pierres
dans un étang puis frotte-toi le nombril avec la queue d’un scorpion en
récitant trois fois de suite le Notre Père à l’envers, ou alors arrête la
boisson.
Mais nous
étions déjà loin et les remparts de la ville disparaissaient derrière nous,
faisant désormais partie du passé. Nous ne nous retournâmes pas une seule fois.
Nous croisions parfois de grands groupes de gens qui, sûrs de mon échec,
s’exilaient en masse en se lamentant sur leur sort. Hommes de peu de foi, à qui
je saurai bien prouver combien ils avaient tort. De ce moment, je me jurai de
ne pas revenir sans la tête de Holi Wood plantée au bout de mon épée.