mardi 1 mai 2012

Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #3


Ce fut avec un immense soulagement que nous arrivâmes après bien du mal dans les appartements privés du roi. Ce dernier s’assit derrière son bureau et me présenta un siège en face de lui.
-Un cigare ?
-Non merci, fis-je. Je ne fume pas.
-Et vous avez raison ! Car pour accomplir votre mission, vous aurez besoin de toutes vos forces.
Aux côtés de Merlan et de Bovin, qui se tenaient respectueusement derrière le roi, je remarquai un petit homme étrange déguisé en palmier d’intérieur qui remit une enveloppe au roi.
-Je vous présente Pavupapris, notre maître espion. Mais vous le connaissez, je crois.
-Qui ne le connaît pas, dis-je. Quoique, avec son déguisement, je ne l’avais pas reconnu.
-Vous pouvez disposer, Pavupapris, dit le roi.
Le palmier s’éclipsa.
-Vous trouverez dans cette enveloppe tous les renseignements nécessaires sur Holi Wood, dont un portrait récent ainsi que divers documents qui pourront vous être utiles. Pour les obtenir, plusieurs de nos meilleurs agents sont morts.
Je décachetai l’enveloppe. Elle ne contenait qu’une feuille blanche où seul était écrit le nom de Holi Wood, sous un portrait grossier qui se résumait à un rond avec deux petits points mesquins pour les yeux et une bouche qui tirait la langue, ainsi qu’un bon de réduction de deux écus à valoir sur mon prochain rendez-vous chez le coiffeur.
-Comme ça, vous pourrez partir combattre le Mal avec une coupe de cheveux adaptée. Quant aux documents concernant Holi Wood, je reconnais qu’ils sont un peu maigres. Mais c’est tout ce que nous avons !
Je rangeai le dossier dans son enveloppe.
-N’oublie pas que notre destin est entre tes mains, me dit Bovin avec une légère angoisse qui faisait trembler sa voix.
-Vous pouvez compter sur moi ! assurai-je en me levant.
Le roi sortit alors son porte-monnaie et me tendit dix sous.
-Tiens, me dit-il. Pour t’acheter des bonbons.
-Votre majesté est trop bonne.
-Bon, je résume : votre mission, si vous l’acceptez, est de vous infiltrer dans les lignes ennemies, de trouver Holi Wood, le terrible Prince des ténèbres, et de lui flanquer une bonne correction. D’après nos renseignements, il se trouverait à Czxywitzcultac, une ville au nord-est du royaume, avec son lieutenant Taum Krouz et le plus gros de son armée. Le général Toultant essaiera de le retenir le plus longtemps possible, mais le temps nous est désormais compté. Si au cours de votre mission, vous ou l’un de vos hommes venait à être pris ou tué, nous nierons avoir eu connaissance de vos agissements. Ce message s’autodétruira dans trente secondes. Bonne chance, Jim ! Bip bip bip…BOUM !
-Bien, Sire !
Je me retirai le cœur gonflé d’orgueil et d’espoir. J’allais finalement pouvoir révéler au monde mes immenses talents, et on me reconnaîtrait enfin à ma juste valeur. La tâche allait être rude, je le sentais, mais loin de me décourager, cette idée me galvanisait. Et c’est ainsi que commença ma formidable aventure.

* * * * * * * * *

-Ah, Gilbérald, mon fidèle écuyer ! m’écriai-je. Je te cherchais.
-Me voici, mon maître.
Il se tenait devant moi, le sourire servile, attendant mes ordres comme un bon chien attendrait son os. C’était lui qui, il y avait déjà plusieurs années de cela, s’était proposé de lui-même d’entrer à mon service. Bien qu’un peu maladroit, et manquant parfois cruellement de cette présence d’esprit et de ce sang froid qui me valurent de nous sortir de nombreuses situations inextricables, il m’avait toujours témoigné un attachement et un dévouement à toute épreuve. De sa jeunesse, il ne parlait guère, mais j’avais cru comprendre qu’il avait beaucoup voyagé. Sa connaissance du pays allait certes m’être appréciable.
-Va donc seller mon cheval. ! lui dis-je.
-Pourquoi, mon maître ?
Je le regardai avec impatience.
-Parce que c’est plus confortable pour voyager, répondis-je. Je vois que tu ne t’es toujours pas départi de ta mauvaise habitude de poser des questions idiotes !
Il baissa la tête, l’air penaud.
-Je voulais juste savoir où nous allions, c’est tout.
Je levai les yeux au ciel.
-Mais où étais-tu donc, ce matin ? m’écriai-je. Tout le royaume est au courant ! Tu ne sais donc pas que Dieu lui-même m’a chargé d’aller sauver le monde ?
-Noble tâche.
-Oui, et qui d’autre que moi aurait pu être désigné pour une mission aussi délicate !
-On se le demande.
Je le regardai d’un œil mauvais.
-Nous devons nous rendre au plus vite à Czxywitzcultac, poursuivis-je.
-Czxywitzcultac ?
-Oui, Gilbérald, mon fidèle écuyer. La ville la plus importante du nord-est. Là se jouera le sort du royaume. Mais trêve de bavardages inutiles ! Nous n’avons perdu que trop de temps ! En route !
Nos bagages furent vite bouclés, et dans l’heure qui suivit nous quittions le château, non sans avoir préalablement pris congé du duc et de ma chère Rose. Près de la grande porte de la ville, Merlan nous attendait. Il vint vers nous avec un air de visible contentement malgré la gravité solennelle de sa démarche.
-Ah, Gilbérald ! dit-il, à mon grand étonnement. Maintenant, nous ne pouvons plus faire demi-tour.
Gilbérald, mon fidèle écuyer, acquiesça. Merlan se tourna alors vers moi et me dit à la manière d’un maître d’école s’adressant à son élève :
-Chevalier, la route que tu t’apprêtes à suivre sera longue et semée d’embûches. Aussi, écoute bien ce que j’ai à te dire. Mes conseils et mes prédictions ont rarement été inutiles à qui sait s’en rappeler.
-Je t’écoute, ô sage Merlan.
-Tu rencontreras sur ta route de nombreux alliés, même si tous ne t’apparaîtrons pas comme tels de prime abord. L’union fait la force, chevalier, et tu aurais tort de ne compter que sur toi-même si tu veux aller au bout de ton périple.
Il fouilla un moment dans ses vastes poches et en sortit une petite amulette qu’il me remit.
-Porte la en toute occasion, ne t’en sépare jamais. C’est une amulette que je tiens d’une ancienne princesse aujourd’hui disparue. A ce titre, elle a de grands pouvoirs. En cas de grand danger, elle saura t’aider.
Je passai l’amulette autour du cou. Aussitôt, un étrange sentiment de bien-être m’envahit.
-Bien, continua Merlan. A présent, quelques petites recommandation avisées qui je pense te seront profitables : parfois, tu seras tenté de poser des questions trop indiscrètes. Cela ne peut t’apporter que des ennuis, car la curiosité est un vilain défaut. Couvre-toi bien, car les nuits sont fraîches, et il serait dommage que tu attrapes froid. Lave-toi bien les dents après chaque repas.
Je ne pus dissimuler une certaine impatience.
-Oui, c’est ça, dis-je en piquant ma monture des talons. A bientôt, sage Merlan !
-Bonne chance, chevalier ! Et n’oublie pas, les chats noirs sont source de malheur, et le vendredi treize est un jour funeste. Si tu rencontres un jour une jeune fille bossue à la peau bleue qui te dit qu’elle est philatéliste, jette trois pierres dans un étang puis frotte-toi le nombril avec la queue d’un scorpion en récitant trois fois de suite le Notre Père à l’envers, ou alors arrête la boisson.
Mais nous étions déjà loin et les remparts de la ville disparaissaient derrière nous, faisant désormais partie du passé. Nous ne nous retournâmes pas une seule fois. Nous croisions parfois de grands groupes de gens qui, sûrs de mon échec, s’exilaient en masse en se lamentant sur leur sort. Hommes de peu de foi, à qui je saurai bien prouver combien ils avaient tort. De ce moment, je me jurai de ne pas revenir sans la tête de Holi Wood plantée au bout de mon épée.

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