samedi 21 décembre 2013
Projet de couverture #2
jeudi 4 juillet 2013
Projet de couverture
Un projet de couverture en cours pour les Aventures du Chevalier Sans-Nom (et de Gilbérald, son fidèle écuyer)
vendredi 21 juin 2013
Les aventures du Chevalier Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #6
Guidés par
Yam, il ne nous fallut que quelques minutes pour arriver à la chaumière de la
vieille sorcière. Mais on ne pouvait s’y tromper: c’était un vrai repaire de
pythie malfaisante, lugubre à souhait, des chauves-souris s’échappant des
moindres recoins. D’aspect délabré, elle aurait pu sembler abandonnée si ce
n’était cette fumée verdâtre qui s’échappait de la cheminée.
Nous traversâmes
le petit jardin, et si les ronces qui l’envahissaient semblaient n‘avoir pour
seul jardinier que l‘Anarchie, il n’en était rien, et nous nous aperçûmes
bientôt qu’elles avaient été habilement placées de telle manière qu’il était
impossible au visiteur des les éviter. C’est donc les jambes écorchées de
toutes parts que nous atteignîmes tant bien que mal la porte.
Un petit
écriteau, qu’un vieux clou rouillé tentait de retenir, indiquait:
« Vieille Serpillière, sorcière. Frappez fort avant d’entrer ».
Sans plus
attendre, je frappai fort. Mon coup sur la porte en chêne massif ne rendit
aucun son. Mon cri de douleur, par contre, ne manqua pas d’alerter la
maîtresses des lieux.
-Entrez! nous
lança une voix râpeuse.
La porte
s’ouvrit tout doucement, prenant visiblement
un grand plaisir à grincer de tous ses gonds. Je poussai alors Gilbérald, mon
fidèle écuyer, dans la salle obscure qui
se présentait à nous.
-C’est bon,
dis-je, il semble qu’il n’y ait pas danger.
Les ténèbres
qui régnaient dans la pièce étaient à peine dérangées par la lueur dansante du
feu de la cheminée, au-dessus duquel était suspendue une grosse marmite d’où
s’échappait en gerbes bouillonnantes une étrange mixture verte qui faisait
crépiter les flammes. Des toiles d’araignée pendaient ça et là en grappes
fantastiques. Les étagères poussiéreuses se trouvaient encombrées d’alambics et
de bocaux de toutes sortes, dans lesquels fermentaient des serpents, des
lézards et de la liqueur de cassis. Confortablement installé sur un perchoir
biscornu, un hibou nous observait de ses grands yeux et faisait hou hou, comme
ça.
La vieille
Serpillière, quant à elle, se tenait tordue devant une lourde table érodée par
le temps, occupée à prélever la bave d’un crapaud plus ou moins consentant.
Elle leva la tête à notre arrivée, et ses yeux vitreux nous dévisagèrent un
instant.
-Encore toi!
cracha-t-elle à l’adresse de Yam. Je ne peux rien pour toi, je te l’ai déjà
dit! Ma boule de cristal est toujours en panne.
-Cette
fois-ci, ce n’est pas pour moi. Je vous amène juste des voyageurs qui vous
cherchaient afin de bénéficier de votre science de guérison.
Je lui
présentai Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Il s’est
bêtement blessé avec une flèche empoisonnée, là, dans l’épaule, et douillet
comme il est, il ne lui en a pas fallu plus pour se retrouver dans cet état de
délabrement avancé.
La vieille
Serpillière considéra Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Il n’a
effectivement pas l’air bien en forme. Le mal en est a un stade avancé. Je
pense cependant pouvoir faire quelque chose pour lui, mais les ingrédients
nécessaires à son salut sont rares, et mon intervention n’est pas gratuite.
Elle fourra
ses doigts décharnés dans sa bouche, d’où elle extirpa un gros asticot encore
grouillant, qu’elle avala aussitôt.
-Je déteste
avoir des restes de repas coincé entre les dents, grogna-t-elle. Bon, ça vous
fera cent écus.
-Mais c’est
très cher, ça! sursautai-je.
-Et non
remboursable par la Sécu, ajouta-t-elle. Mais il est inutile de marchander,
c’est à prendre ou à laisser.
-Tu vois ce
que me coûtent tes bêtises, Gilbérald, mon fidèle écuyer! Mais sois assuré que
je retiendrai tout ça sur ton salaire!
A contrecœur,
je sortis cent écus de ma bourse. La vieille femme les happa avidement et se
mit à les compter. Puis, satisfaite, elle se dirigea vers le malade et commença
à l’ausculter comme seules les sorcières savent le faire.
-Dites 33!
Tirez la langue! Toussez! Arrêtez de respirer! Donnez-moi votre bras! Fermez
les yeux! Penchez la tête! Respirez! Debout! Assis! Couché! Respirez, j’ai dit !
Après avoir
donné son sususcre à Gilbérald, mon fidèle écuyer, elle se retourna vers nous.
-Alors, c’est
grave? demandai-je. Ne nous épargnez pas les détails, nous avons besoin de
savoir!
-Tout ce que
je peux vous dire, c’est qu’il survivra. Par contre, je ne sais pas dans quel
état! Bien entendu, la maison décline toute responsabilité en cas d’effets
secondaires indésirés, et le prix convenu ne saurait faire l’objet d’aucune
réclamation.
-Ne vous
inquiétez pas, dis-je. Il n’était déjà pas bien normal avant, cela ne saurait
être pire!
La vieille
Serpillière se retira dans sa réserve, et après un court instant, en ressortit
en possession d’un petit flacon de verre opaque, contenant, m’assura-t-elle, un
contre-poison de sa composition capable de venir à bout des venins et des
toxines les plus redoutables, qu’ils soient connus ou inconnus. Si nous
suivions bien toutes ses recommandations et que nous ne dépassions pas la dose
prescrite, Gilbérald, mon fidèle écuyer, devrait être rétabli sous cinq jours.
-Cinq jours!
m’écriai-je. Mais c’est horriblement long, ça! J’ai une quête à accomplir, moi,
et nous n’avons déjà perdu que trop de temps! Je ne peux pas me permettre de
m’encombrer d’un écuyer en plein délire, il nous retarderait!
-Ca, dit la
vieille sorcière, c’est votre problème.
-Vous ne
pouvez pas le garder ici le temps qu’il guérisse?
-Pardon?
-Vous verrez,
il est très propre, et très affectueux avec tout ça! Bon, un peu maladroit, et
totalement inutile, mais...
-Ce n’est pas
un hôtel, ici! vociféra-t-elle. Et maintenant, déguerpissez avant que je ne
décide de vous transformer en vers de terre!!
La condition
de ver de terre ne me semblant pas être la forme la plus adaptée au bon
déroulement de ma mission, je ne discutai point, et suivi de mes compagnons, je
m’éloignai le plus rapidement possible de la chaumière. Nous ne tardâmes pas à
réintégrer le chemin qui devait nous mener hors de cette forêt maudite.
Arrivé là, je
fis boire une gorgée de contre-poison à Gilbérald, mon fidèle écuyer. Le
breuvage semblait être efficace, puisque notre malade perdit aussitôt sa teinte
mauve et cessa de délirer.
-Il est déjà
guéri? demanda Roger.
-Je ne crois
pas, non, dit Yam. La vieille Serpillière a bien dit qu’il fallait attendre
cinq jours avant la guérison complète.
-Tu as sans
doute raison, mon garçon, ajoutai-je. Il ne semble d’ailleurs pas avoir repris
totalement ses esprits, ce qui tendrait à prouver, contre toute attente, qu‘il
en avait autrefois.
Gilbérald,
mon fidèle écuyer, gardait en effet les yeux fixés dans le vide et affichait un
sourire béat
-Bon,
espérons qu’il ne soit pas une trop lourde entrave à notre avancée. Eh bien,
Yam, je suis ravi d’avoir fait ta connaissance, mais nous n’allons pas nous
éterniser ici plus longtemps...
-Chevalier,
me dit-il alors, je comptais vous demander la permission de vous accompagner un
bout de chemin, le temps du moins que Gilbérald se rétablisse et puisse me
mettre sur les traces de l’assassin de mon père. Je suis sûr qu’il sait quelque
chose!
-Eh bien
soit, mon jeune ami! Mais notre voyage risque de ne pas être de tout repos! Il
est juste que tu en sois informé.
-Le danger ne
m’effraie pas, vous verrez, et sans doute ne serai-je pas de trop s’il se fait
trop pressant!
L’avenir
n’allait pas tarder à lui donner raison. Nous quittions la forêt des Maléfices
sans regrets, mais nous ne nous doutions pas que les multiples périls auxquels
nous avions dû faire face jusqu’à présent n’étaient que récréation et
divertissement en comparaison des épreuves qui nous attendaient sur la route de
Czxywitzcultac.
* * * * * * * *
Trois jours
s’étaient cependant écoulés sans qu’aucun incident ne vienne perturber le cours
de notre route. Le remède de la vieille Serpillière accomplissait lentement son
oeuvre, et Gilbérald, mon fidèle écuyer, recouvrait peu à peu ses facultés, si
tant est qu’on put appeler ainsi ce qui lui en tenait lieu. Ses crises étaient
de moins en moins fréquentes, et Yam achevait de compléter le traitement par
ses bons soins. Le jeune homme nous avait donné plus de précisions sur les
circonstances tragiques de la mort de son père, lâchement abattu d’un coup
d’épée dans le dos par un homme dont il ne connaissait qu’une seule
particularité: il avait une oreille plus grande que l’autre, signe distinctif
peu courant et sur lequel il comptait indéfectiblement pour identifier le
meurtrier.
Nous
traversions alors une région fort agréable, parsemée de collines et de petits
bois, que traversaient de nombreux cours d’eau, mais que je ne parvenais pas à
trouver sur la carte. Je ne me suis du reste jamais beaucoup fié à ces illustrations d’atlas tout justes bonnes à
induire le voyageur en erreur, leur préférant sans conteste mon indéniable sens
de l’orientation.
La nuit
s’apprêtait à tomber. Déjà, le soleil disparaissait derrière les collines et
les nuages prenaient les teintes mauves du soir. Les lointaines lumières d’une
ville furent donc les bienvenues, et furent accueillies comme les promesses
d’un repas chaud et d’une nuit douillette. Nous nous hâtâmes de les rejoindre
avant que la nuit ne soit trop avancée.
Arrivés aux
portes de la ville, nous dûmes soutenir l’examen minutieux du portier, dont la
lanterne éclairait nos visages d’une lueur blafarde mais non moins
inquisitrice.
-Vous êtes
des voleurs? nous demanda-t-il d’un ton suspicieux.
-Assurément
non! répondis-je.
-Vous pouvez
passer, alors, dit-il dans un soupir de soulagement. Je vous souhaite un
agréable séjour dans notre ville, en vous priant de bien vouloir m’excuser pour
les désagréments qu’a pu causer cet interrogatoire portant sur des questions
certes personnelles, mais qui n’avait d’autre but que d’assurer votre sécurité!
-Nous
comprenons, dis-je. Vous ne pouvez laisser entrer n’importe qui, c’est tout à
fait normal!
-Il y a
beaucoup de voleurs dans la région? demanda Yam.
-Beaucoup,
non,. Mais depuis quelques temps, le bruit court que la terrible Jehanne et son
inquiétant complice, le Chat Ninja, rôdent dans le pays.
Un frisson
parcourut Roger. Jetant un regard inquiet derrière lui, il ne put s’empêcher de
répéter d’une voix faible:
-Jehanne et
le Chat Ninja!
-Tu as déjà
entendu parler d’eux, mon bon Roger?
La visible
frayeur de mon compagnon, lui d’habitude si brave, ne manqua pas de m’ébranler.
Le portier se pencha vers nous et la lumière de sa lanterne lui donna l’air d’un
conspirateur.
-Ce sont des
êtres étranges et mystérieux, nous dit-il dans un souffle à peine audible.
D’aucuns prétendent qu’il s’agit de deux démons sortis des Enfers pour
accomplir les desseins démoniaques du Malin. Personne ne connaît leur visage. Ils
apparaissent et disparaissent à leur gré, et on prétend même qu’à l’instar de
Kijaï, le fabuleux héros de nos légendes, ils seraient immortels! Leur tête a
été mise à prix par de nombreux seigneurs, mais aucun chasseur de primes n’a
encore réussi à les débusquer... Mais ne soyez pas inquiets, tant que je serais
le gardien de cette ville, ils n’en verront jamais rien d’autre que ses
murailles!
Roger n’était
rassuré qu’à moitié, mais nous décidâmes qu’il était tout de même plus prudent
de dormir dans l’enceinte de la ville qu’au dehors. Nous n’eûmes pas trop de
peine à trouver une auberge, à quelques rues de là. Son enseigne, quelque peu
originale, représentait un homme tout vert près à vomir, et elle avait pour nom
« A La Bouffe Infâme ».
-Celle-ci m’a
l’air très bien, dis-je.
A peine
avions-nous franchi la porte qu’un gros
monsieur au nez rouge s’empressa de nous accueillir.
-Bonjour,
messires! Que puis-je pour vous?
-Nous
souhaiterions une chambre pour la nuit!
-Désirez-vous
manger également?
-Volontiers,
nous avons fait une longue route aujourd’hui
Il remarqua
alors Gilbérald, mon fidèle écuyer, dont le teint verdâtre restait encore
tributaire des derniers effets du poison.
-Tiens! fit
l’aubergiste, étonné. Votre visage m’est inconnu, et pourtant on jurerait que
vous êtes un habitué de la maison.
Il appela un
jeune garçon à la mine taciturne.
-Clopin va
vous montrer votre chambre.
Clopin nous
fit monter à l’étage et nous présenta notre chambre: petite mais suffisamment
confortable pour une nuit . Elle contenait deux paires de lits superposés, ce
qui fut cause d’un léger conflit quand se posa la question de savoir qui allait
prendre les lits du haut. Ce détail fut réglé à la courte-paille, et après
avoir couché Gilbérald, mon fidèle écuyer, nous descendîmes dans la salle à
manger.
Il y avait
monde, ce soir-là, à l’auberge de la Bouffe Infâme, mais nous parvînmes à
trouver une table libre dans un coin de la salle. La pièce enfumée était emplie
de rires et de chants. Seul un petit groupe de Poules Masquées, tribu
belliqueuse s’il en est, se tenait à l’écart, jetant des regards hostiles
autour d’elles.
L’aubergiste
vint prendre notre commande. Cette auberge, nous assura-t-il, avait la
particularité de ne proposer que des plats immangeables.
-Avec nous,
nous assura-t-il d’un air solennel, c’est non satisfait ou remboursé!
Yam préféra
ne rien prendre, Roger se risqua à commander une soupe, et ce fut pour moi
l’occasion ou jamais de goûter aux saveurs d’un « intestin de chameau
farci aux yeux de crapauds et son coulis de fraises périmées »
-Excellents
choix! Vous ne trouverez jamais rien de semblable ailleurs! affirma
l’aubergiste.
-J’espère
bien, dit Yam.
Nos plats ne
tardèrent pas à être prêts.
-Bien, je
vous souhaite un mauvais appétit! N’hésitez pas à vous servir, si le cœur vous
en dit, des petits sacs placés sous vos chaises.
-Dites donc!
fit Roger. Il y a une mouche dans ma soupe!
-Oui, mais ne
vous inquiétez pas! Elle est comprise dans le prix!
Roger, en
amoureux des bêtes qu’il était, préféra laisser la mouche barboter
tranquillement dans sa soupe. Quant à moi, je ne fis qu’une bouchée de mon
intestin farci. Mes compagnons me regardèrent manger d’un air où se mêlaient
l’admiration et le dégoût.
-Comment
pouvez-vous avaler ça, monseigneur?! me demanda Roger.
-Tu sais, mon
bon Roger, « ventre affamé n’a pas d’oreille! », comme on dit.
Il me regarda
de biais un instant, puis haussant les épaules, se plongea dans la
contemplation de la mouche occupée à faire ses brasses.. Il fabriqua même, au
grand bonheur de l’insecte, un petit plongeoir avec sa cuillère, et la mouche
eut le temps de perfectionner son double salto avec triple vrille avant que
l’aubergiste ne revienne.
-Alors?
-Vous aviez
raison, dis-je. C’était vraiment dégueulasse!
-Mais...
sursauta-t-il. Vous avez tout mangé?!
-Vous savez,
« ventre affamé n’a pas d’oreille ».
-C’est la
première fois que je vois quelqu’un finir son assiette!
-Et vous
faites beaucoup d’affaires? demanda Yam.
-Non, pas
vraiment! dit l’aubergiste en riant. Il faut bien dire que nous ne revoyons
jamais deux fois le même client. Certains partent même sans payer, sans compter
ceux qui veulent qu’on les rembourse!
Comme pour
confirmer ses propos, trois rudes gaillards s’approchèrent de lui et l’un d’eux
le souleva par le col.
-Tu vas nous
rembourser notre repas! grogna-t-il.
-Qu’est-ce
que je vous disais! nous lança l’aubergiste. En plus, ceux-là n’ont même pas
encore payé!
Ne pouvant tolérer un tel comportement, je me
levai, et une lueur menaçante dans le regard, je vins défier les trois brutes.
-Je vous
conseille de lâcher cet homme, manants, ou vous aurez affaire à moi!
-Reste en
dehors de ça, mon gars!
-Vous ne
m’impressionnez pas! leur assénai-je. J’en ai terrassé des plus forts que vous!
Ils me
considérèrent en ricanant, et le plus petit des trois, qui me dépassait d’un
bon mètre, prit une table en chêne massif entre ses bras et, les resserrant
tels un étau, la brisa sans aucun effort.
-Remboursez-les,
aubergiste ! dis-je.
-Jamais !
Celui qui le
tenait le lança alors au travers de la pièce, et il alla s’écraser sur la table
des Poules Masquées, qu’un homme avait rejointes entre temps. Les Poules se
dispersèrent en piaillant.
-Et
maintenant ? rugit le géant.
-Vous feriez
mieux d’en rester là avant que ça ne tourne mal, dit Yam. Pour vous, bien
entendu !
Le colosse se
tourna vers le jeune garçon, et il le domina de toute sa masse imposante.
-C’est à nous
que tu parles, freluquet ?
Yam ne lui
laissa pas l’occasion d’en dire plus. Il me sembla que son poing ne s’abattit
qu’une seule fois, et pourtant les trois hommes s’écroulèrent à ses pieds,
assommés. Le silence régnait dans la salle, puis les conversations reprirent
peu à peu, mais Yam allait être à présent au cœur de celles-ci pour de longues
semaines.
-Merci, mon
garçon! dit l’aubergiste en se relevant. A vous voir, on ne vous prêterait pas
une aussi grande force. Ces trois-là n’étaient pas des mauviettes!
L’homme qui
parlait avec les Poules Masquées s’invita alors à notre table. Il était plutôt
bien bâti, dans la force de l’âge, carré d’épaules, avec un large cou
supportant une tête échevelée, mal rasée, une longue balafre achevant de lui
donner un air farouche.
-Je vous offre
quelque chose? demanda-t-il.
-Non merci,
fit Yam, méfiant.
-Il est vrai
que cette auberge porte plutôt bien son nom, dit l’homme. Allons dans celle
d’en face, je pense qu’elle est d’une autre qualité.
L’auberge en
question s’appelait « Au Petit Gourmet, Auberge d‘une Autre Qualité que
Celle d‘en Face», et nous fûmes bientôt attablé devant un somptueux repas.
-Votre force
est impressionnante! commença le balafré.
-Je sais,
dis-je. Et encore, vous n’avez rien vu!
-Je parlais du
jeune garçon!
-Ah, oui, il
n’est pas mauvais non plus.
-Et en quoi
cela vous intéresse-t-il? demanda Yam.
-J’ai un
travail à vous proposer. Voilà, je suis chasseur de primes, peut-être avez-vous
entendu parler de moi, je suis plutôt assez connu sous le nom de La Girafe.
Yam se leva de
table.
-C’est un
milieu que je ne fréquente guère, et je tiens à ce que cela reste ainsi.
-Vous avez
tort. Il y a énormément d’argent à la clef!
-L’argent ne
change rien à l’affaire!
-Nous sommes
vos hommes! dis-je.
-De quoi
s’agit-il? demanda Roger.
-Je suppose
que vous avez entendu parler de Jehanne et du Chat Ninja.
Roger se leva
à son tour.
-Oui,
justement:
-A nous tous,
dit le chasseur de primes, nous en viendrons facilement à bout. Ils ne sont
sûrement pas aussi terribles que ça.
-Ils sont
immortels!
-Ce ne sont
que des contes pour faire peur aux enfants. L’homme qui m’a engagé a eu affaire
à eux, et il m’a certifié qu’ils étaient aussi mortels que vous et moi.
-Comme vous le
dites si bien, nous sommes mortels!
-Pour quel
seigneur travaillez-vous? demanda Yam.
La Girafe le
considéra d’un oeil mauvais.
-Cela ne vous
regarde pas, du moment qu’on vous paye!
-Avez-vous
entendu parler d’un homme dont une oreille est plus grande que l’autre?
A ces mots, le
chasseur de primes se leva en donnant un coup de pied dans la table.
-Aïe aïe
ouille ! s’écria-t-il en sautant à cloche-pied autour de la table qui
n’avait pas bougé d’un poil.
-Des
subterfuges aussi grossiers ne prendront pas ! dit Yam en souriant.
Maintenant, répond à ma question !
-Oh !
s’exclama La Girafe. Derrière vous !
Le temps de nous retourner et La Girafe avait
disparu. Yam était furieux.
-Il s’est
enfui!
-Ah ben oui,
tiens ! dis-je. Comment a-t-il fait ?
Le jeune
garçon ne tenait plus en place.
C’est alors
que je remarquai, dans le coin le plus obscur de la pièce, deux ombres
encapuchonnées. Se glissant jusqu’aux tréfonds de mon âme, deux yeux de chat, brillants
d’une lueur malveillante, me scrutèrent avec insistance.
-Sortons,
dis-je, mal à l’aise.
Comme je me
retournais une dernière fois avant de quitter la salle, je pus remarquer que
les deux hommes avaient disparu. Pourtant, comme si leur reflet n’avait pu se
détacher de l’ombre dans laquelle ils étaient tapis une minute auparavant, les
yeux de chat semblaient continuer à me dévisager.
Ma nuit fut
longue et agitée, parcourue de rêves malsains et inquiétants, dans lesquels des
yeux de chameau m‘observaient du haut d‘un cou de girafe, et je me promis de me
faire rembourser mon repas dés les premières lueurs du jour.
lundi 17 juin 2013
Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #5
A mesure
que nous nous enfoncions dans la forêt des Horreurs, l’obscurité devenait plus
dense, l’air plus lourd, et Gilbérald, mon fidèle écuyer, plus bleu. Le lieu
offrait une ambiance des plus macabres, qui empoisonnait notre imagination et
entamait notre raison. Les chevaux étaient nerveux, et nous avions toutes les
peines du monde à les faire avancer. Ils tressaillaient au moindre son, au
moindre souffle dans les buissons. Le mien fut le premier à succomber, des
suites d’une crise cardiaque provoquée par le bruit malencontreux d’une
brindille qu’il brisa lui-même sous son sabot. Quant à celui de Gilbérald, mon
fidèle écuyer, la tension qui se dégageait de la forêt le rendit fou. C’est du
moins ce qu’il nous parut quand nous le vîmes subitement grimper dans un arbre
et se jeter de la plus haute branche en agitant désespérément les pattes. Il
réussit même à lancer quelques petits gazouillis avant de lamentablement
s’écraser par terre.
Nous
fûmes donc obligés de continuer notre route à pied, nous frayant tant bien que
mal un passage à travers l’enchevêtrement de branchages qui encombrait le chemin.
Le bruit de nos pas, étouffé par le lit de feuilles mortes qui tapissait
l’humus, rendait le silence d’autant plus oppressant.
-Je
commence à me demander si j’ai bien fait de vous accompagner, me dit Roger, que
le son de sa propre voix fit sursauter.
-Ne
t’inquiète pas, le calmai-je. Tant que tu restes à mes côtés, il ne peut rien
t’arriver.
Il jeta
un bref coup d’œil à Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Je vois
ça. Mais nous sommes en plein milieu du domaine du cyclope Inette, et s’il
venait à attaquer…
-Tu t’en
fais donc pour si peu ? Je suis un chevalier, ne l’oublie pas, et en tant
que tel, j’ai suivi un entraînement spécial ! Je me rappelle comme si
c’était hier du cours que notre maître d’armes nous fit à propos des combats
contre les cyclopes. Il est très important par exemple de toujours l’affronter
avec le soleil dans notre dos, car leur unique œil est très sensible à la
lumière.
Roger
regarda autour de nous. L’obscurité était plus épaisse que jamais.
-Oui,
bon, fis-je. Il y a encore tout un tas de manières de prendre l’avantage sur un
cyclope. Et puis, au besoin, nous pourrons toujours lui laisser Gilbérald, mon
fidèle écuyer, pour faire diversion.
-Ca,
c’est un bon plan, monseigneur ! En plus, j’ai entendu dire que le cyclope
Inette aimait la viande bien bleue. Votre écuyer est juste à point.
Je me
mis à scruter les arbres attentivement, car il me semblait entendre un
grondement sourd et régulier.
-Méfions-nous,
chuchotai-je. Les cyclopes sont très sournois, et ne connaissent rien des
règles de chevalerie et des bonnes manières au combat. Il n’hésiterait pas, je suis sûr, à nous
tendre un piège, à nous attaquer par derrière, ou pire, à profiter lâchement de
notre sommeil pour nous égorger. Car dis-toi bien que c’est très lâche, un
cyclope !
A peine
avais-je achevé ma phrase que nous vîmes, étendu de tout son long au beau
milieu de la route, un énorme cyclope endormi, dont le ronflement m’avait
alerté quelques minutes auparavant.
-C’est
sûrement lui ! fit Roger en pâlissant.
-Alors
laisse-moi faire, mon ami. Il est temps pour moi de voir si les heures passées
en cours n’ont pas été perdues en vain. Je vais te le terrasser, moi, ce
cyclope !
-Soyez
prudent, tout de même, monseigneur.
-Calme
tes craintes, mon bon Roger, mais parle moins fort quand même.
Je
m’approchai silencieusement du monstre, et je me hissai jusqu’à sa tête. Son
haleine fétide faillit presque me faire défaillir. Mais je restai bien ferme
sur mes assises, et prenant mon épée à deux mains, je lui tranchai la gorge
d’un geste net et précis. Le cyclope ouvrit l’œil, me considéra un instant avec
une surprise qui se transforma en stupeur à la vue de son sang qui lui sortait
de la gorge à gros bouillons. Ce fut plus qu’il n’en put supporter, et il
expira dans un gargouillis à peine audible. Voilà comment fut terrassé le plus
terrible monstre des environs, le cyclope Inette, qui plus jamais ne
terroriserait personne.
-Alors
là bravo, monseigneur ! s’écria Roger. Vous vous êtes bien battu !
C’était très impressionnant !
-Bah,
fis-je. Le combat auquel tu viens d’assister n’est que futilité, pour nous
autres chevaliers. « Défends la veuve, sauve l’orphelin, mange ta soupe et
dis bonjour à la dame », telle est notre devise.
Mais
l’heure n’était pas aux congratulations, car tout portait à croire que le
poison qui rongeait mon pauvre Gilbérald, mon fidèle écuyer, arrivait à terme.
-Il n’a
plus beaucoup de temps à vivre, me confia Roger, l’air visiblement peiné. C’est
bien dommage. Mais s’apitoyer sur le sort des morts et ressasser le passé ne
sert à rien. La vie continue, et si vous avez besoin d’un écuyer, soyez sûr,
monseigneur, que je remplirai ce rôle avec joie.
-Brave
homme ! fis-je, au bord de l’émotion.
Deux heures
plus tard, au prix d’incroyables efforts, nous étions arrivés à l’orée de la
forêt des Horreurs, qui était également celle de la forêt des Maléfices. Mais
là encore, une épreuve nous attendait. Un grand chevalier en armure noire se
tenait au beau milieu du chemin, les mains fermement posées sur le pommeau de
son épée solidement fichée dans le sol.
-Holà,
messires ! nous lança-t-il. Un instant !
-Nous
n’avons rien à déclarer, dis-je. Laisse-nous passer !
-Si vous
voulez continuer votre route, il vous faudra me payer le droit de passage.
Sinon, vous n’avez plus qu’à rebrousser chemin.
-Je suis
en mission spéciale, sur ordre du Roi. Tu dois me laisser passer !
-Si tu
veux passer sans payer, chevalier, je respecterai ton choix sans te poser plus
de questions. Mais alors il te faudra me combattre.
Il leva
son épée, et après l’avoir fait tournoyer au dessus de sa tête, il la tendit
vers moi, pointe en avant.
-Combien
je vous dois ? demandai-je en sortant mon porte-monnaie.
-Cinq
mille écus !
-C’est
une honte ! m’écriai-je. Rançonner ainsi les honnêtes gens !
Il me
menaça de son épée.
-On ne
pourrait pas marchander un peu ? hasardai-je.
-Pas
question ! Je ne suis pas un vulgaire marchand de tapis ! Bats-toi,
si tu n’as pas assez d’argent !
-Allons,
allons, ne nous énervons pas.
-Allez !
me cria-t-il. Viens te battre, si t’es un homme !
-La
violence n’a jamais rien réglé, vous savez !
-Tu as
peur ! Tu es un lâche ! Ouh, le lâche !
Cette
fois, c’en était trop ! Dieu m’est témoin que j’avais tout fait pour
éviter d’en arriver là, mais il ne ma laissait pas le choix. Il me fallait
faire demi-tour.
-Allez-y !me
lança Roger. Montrez-lui qui vous êtes !
-C’est
que…
-C’est
ça ! cria le chevalier noir. Montre-moi qui tu es !
Il
brandissait son épée en sautillant comme un fou, le regard dément, complètement
possédé par le démon de la bataille. Il s’approcha de moi et me donna un coup
de pied dans le tibia.
-Aïe !
Ca va pas la tête !
-Bien
fait ! Ah ah ah. Ta mère en short devant le donjon !
Malgré
moi, je sortis mon épée de son fourreau, et je me préparai au combat. Voyant
cela, le chevalier noir sembla hésiter.
-Ah !
fit-il. Euh… vous avez l’intention de vous battre ?
-Puisqu’il
le faut !
-Ah
bon ! Alors je me rends, vous avez gagné. Bravo ! Vous avez été le
plus fort, je ne faisais pas le poids. C’était un beau combat, vraiment !
Roger
était au comble de l’étonnement.
-Mais,
dit-il, vous n’avez même pas commencé !
-Tais-toi,
lui dis-je. Tu n’y connais rien. Puisqu’il dit que je suis le plus fort !
Le
chevalier noir se rangea sur le côté, et s’inclinant, nous invita à poursuivre
notre route.
Une fois
de plus, je sortais victorieux d’un combat durement mené. Forts de cette
nouvelle victoire, nous étions à présent dans la forêt des Maléfices, où vivait
la vieille sorcière qui elle seule pouvait sauver Gilbérald, mon fidèle écuyer.
Mais allions-nous la trouver à temps, ou allait-il mourir stupidement dès le
début de l’histoire ?
* * * * * * * * *
Les
heures s’écoulaient inexorablement, et nous n’avions encore trouvé aucun indice
pouvant nous renseigner sur la présence d’une éventuelle sorcière. Je
commençais à sérieusement douter de son existence. Je regardai tristement
Gilbérald, mon fidèle écuyer, puis je me tournai vers Roger, et je me dis qu’il
ferait assurément un très bon écuyer.
-Tu es
sûr que c’est par là ?
-Ben
non, pas vraiment, dit-il. Vous savez, monseigneur, la forêt est vaste, et je
n’y suis pas venu très souvent. J’ai bien peur que nous n’arrivions trop tard.
Gilbérald,
mon fidèle écuyer, commençait à délirer. Il se prenait tour à tour pour un
écureuil et une noisette, et il se mordait régulièrement le bras à pleines
dents en poussant des petits squick squick.
-On n’a
pas idée, non plus ! grognai-je, agacé. Est-ce que je me fais transpercer
l’épaule par une flèche empoisonnée, moi !?
Le
silence de la forêt fut alors déchiré par un formidable craquement. Un arbre
venait de s’abattre bruyamment non loin de nous.
-Tiens,
fis-je. Il y a donc des bûcherons qui travaillent dans cette forêt ?
-Ne
trouvez-vous pas que le bruit se rapproche dangereusement, monseigneur ?
me fit remarquer Roger.
Sa
phrase se transforma en cri apeuré quand deux arbres gigantesques s’abattirent
sur nous. Nous fûmes ensevelis sous leurs ramures entremêlées.
-Ah
ça !m’écriai-je en tentant de m’extirper de cette prison inattendue. Qui
donc s’amuse à nous faire tomber des arbres sur la tête ?
Je crus
alors apercevoir, glissant prestement entre les arbres, la silhouette gracieuse
d’une jeune fille à la peau brune, dont les yeux me lancèrent un éclair aussi
bref qu’inquiétant. Ce ne fut que le temps d’un battement de cil, et
j’attribuai cette vision au choc que je venais de subir. Par contre, le cyclope
qui se tenait devant moi, vigoureusement campé sur les deux piliers qui lui tenaient
lieu de jambes, était bien réel. La grossière massue avec laquelle il tenta de
m’écraser aussi, mais il ne réussit qu’à réduire quelques branches en petit
bois, et je m’en allai promptement rejoindre Roger sous les feuillages, abris
désespéré et bien dérisoire face aux assauts furieux du monstre.
-Ca
alors ! murmurai-je. On aurait dit le cyclope Inette. Mais c’est
impossible, je l’ai tué !
-C’est
son esprit qui revient pour se venger, grelotta Roger.
-Squick
squick, se mordit Gilbérald, mon fidèle écuyer.
Le
cyclope souleva le tronc qui nous abritait comme il l’aurait fait d’un fétu de
paille et l’envoya par dessus les cimes. Nous l’entendîmes chuter
lourdement dans un craquement sinistre à plusieurs dizaines de mètres de là. Le colosse nous dévisagea de
son œil unique, et un horrible rictus déforma son visage pourtant fort laid au
naturel. Roger se jeta à ses pieds, les mains tendues en avant dans une ultime
supplique.
-Epargnez-moi,
monsieur l’esprit du cyclope Inette ! se lamenta-t-il. Ce n’est pas moi
qui aie eu l’idée de vous tuer ! C’est lui ! A vrai dire, j’étais
même plutôt contre.
Roger
essayait de gagner du temps, et je ne pus que saluer son courage. Mais le
cyclope, semblant prêter foi à ses dires, se tourna vers moi. Son haleine
méphitique me convainquit qu’il ne s’agissait pas là d’un fantôme.
-Ne
t’inquiète pas, mon bon Roger, dis-je. Ce n’est pas un fantôme, c’est un vrai
cyclope.
Et la
vérité m’apparut dans toute son indécente nudité : c’était le frère jumeau
d’Inette qui se tenait là devant moi, frère caché au monde jusqu’à présent,
sans doute pour d’obscures raisons d’héritage. Le monstre leva son énorme
massue, et je sentis que ma dernière heure était venue. J’allais bientôt
comparaître devant le créateur de toutes choses, la tête basse et passablement
écrabouillée, sans avoir pu mener à bien la mission pour laquelle il m’avait
investi. L’arme s’abattit sur moi avec toute la force et la sauvagerie dont
était capable un tel monstre.
Mais la
masse stoppa net à quelques centimètres de mon front. Ouvrant les yeux, je
constatai non sans surprise qu’elle avait été arrêtée par un jeune garçon. Sa
force semblait toutefois surhumaine puisqu’un seul bras lui avait suffit pour
réaliser cet exploit.
Il
arracha alors la massue des mains du cyclope et la brisa en deux. Tout d’abord
effaré, le monstre s’apprêtait à réagir, mais le garçon ne lui en laissa pas le
temps: d’un seul coup de pied, il l’envoya dans les cieux, où il ne fut bientôt
plus qu’un point minuscule, puis il disparut pour toujours. Ainsi finit le frère
jumeau caché du cyclope Inette.
Le jeune
garçon se tourna vers moi, un grand sourire se dessinant sur ses lèvres:
-Je vous
prie de m’excuser, chevalier; dit-il. Je me suis interposé dans votre combat
sans votre permission.
-Tu es
jeune,
mon fier et impétueux ami, mais je l’ai été avant toi. Je ne t’en tiendrai donc pas rigueur. Sache
cependant, comme l’expérience me l’a moi-même appris
plus d’une fois, que la
limite entre audace et inconscience est vite franchie. Si tu avais bien observé
mon combat contre ce cyclope, tu aurais noté que j’avais la situation bien en main, et il
s’en est fallu d’un cheveu que tu ne sois pris dans la violence de ma
contre-attaque! Fort heureusement, je me suis retenu à temps, mais cela aurait
pu t’être fatal!
-Je
n’avais pas remarqué, en effet! Pardonnez ma folie!
-Que
cela te serve de leçon! Ceci dit, ta technique me semble assez intéressante.
D’où te vient cette force?
Sa
figure s’illumina. Ses cheveux en mèches folles lui retombaient sur les yeux
malgré le bandeau qui les ceignait. Il avait l’air honnête et loyal, mais on
avait déjà vu des loups se déguiser en agneau pour mieux rentrer dans la
bergerie, et je restais discrètement sur mes gardes.
-Ne
soyez pas si tendu, chevalier, et rangez cette épée que vous brandissez vers
moi. Je ne vous veux aucun mal, m’assura-t-il. Et je ne pense pas que les
rudiments d’arts martiaux dont vous venez de voir une brève démonstration
puissent grand chose contre votre expérience du combat!
-Armarcio?
Quel nom étrange! Est-ce une sorte de sortilège? Qui te l’a appris?
-Mon nom
est Yam, je viens des montagnes de Pardela. Mon père m’a enseigné tout ce qu’il
savait, et lui même tenait cela de son père, qui le tenait de son père, qui
pour sa part le tenait de son arrière grand tante, qui avait tout appris d’un
vieil ermite dont la science lui venait d’un raton-laveur qui avait été enlevé
dans sa jeunesse par des extra-terrestres, mais je ne peux garantir
l’authenticité de ce dernier point.
Il
sembla alors remarquer la présence de Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Qu’est-il
donc arrivé à cet homme?
-Ah oui,
je l’avais oublié! Il nous faut absolument trouver la vieille sorcière
qui est censée habiter cette forêt, sans quoi il
mourra!
Yam
s’approcha de Gilbérald, mon fidèle écuyer, et resta plusieurs secondes à le
dévisager.
-Ton
père t’a sans doute appris tes armarcios, mais il ne semble pas t’avoir appris
la politesse; jeune homme! Ca ne se fait pas, de fixer quelqu’un avec autant
d’insistance, simplement parce qu’il a un physique ingrat!
-Non,
non, ne vous méprenez pas! Cet homme me rappelle quelqu’un, un ami de mon père.
Je ne me souviens pas bien, j’étais très jeune la dernière fois que je l‘ai vu,
mais je crois bien que c’est lui. Il avait l’habitude de venir nous voir au
moins une fois par mois, et ils discutaient longuement ensemble.
-Ce
serait un ami de ton père?! Après tout, c’est bien possible! Il ne m’a jamais
parlé de ce qu’il avait fait avant d’entrer à mon service. Si j’avais su qu’il
me causerait autant de soucis, je ne l’aurais d’ailleurs jamais engagé! Mais
que fait ton père à présent?
Le jeune
garçon baissa les yeux.
-Il est
mort voilà bientôt deux ans...
J’avais,
contre mon habitude, commis un impair que je m’empressai de réparer.
-Ah ah!
fis-je.
-Il a
été assassiné, et son meurtrier a enlevé ma mère. C’est pourquoi j’ai passé ces
deux dernières années à parcourir le monde. Je n’aurais de cesse de retrouver
l’assassin de mon père et de libérer ma mère de son odieuse emprise!
-C’est
bien, mon garçon, d’avoir un but dans la vie! lui dis-je la main sur l’épaule.
Gilbérald,
mon fidèle écuyer, qui était revenu à lui, se mit alors à crier:
-Toréador,
prends garde à toi!
Yam
s’approcha de lui promptement.
-Saurait-il
quelque chose sur le meurtrier de mon père? C’était son ami, il m’a reconnu lui
aussi malgré ses sens perturbés et il tente sûrement de me donner un indice!
-Moi,
dit Roger, je crois surtout qu’il rentre dans une nouvelle phase de délire.
C’est très fréquent chez les victimes de ce poison. Avec mes anciens
compagnons, nous avions d’ailleurs appelé cette nouvelle phase de délire la
« Nouvelle phase de délire ».
-Toréador!
Toréador! criait Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Non!
Non! Ce doit être le nom du meurtrier! Il essaie de m’aider malgré la fièvre
qui le secoue!
Un feu
intense brûlait dans les yeux du jeune homme.
-Ah mon
père! Pour la première fois depuis ce jour funeste, j’entrevois une lueur
d’espoir! Tu seras vengé, je te le jure à nouveau! Quant à toi, Toréador,
prends garde à toi, oui, prends garde à toi! Le bras de la vengeance est en
marche!
-Allons,
mon garçon, dis-je. Du calme! Et n’oublie pas que le bras de la vengeance est
un plat qui se mange froid.
Sans se soucier de mon appel à la
retenue sans laquelle toute action est pourtant vouée à l’échec, il
prit Gilbérald, mon fidèle écuyer, dans ses bras, et sans même plier sous son
poids il commença à avancer à vive allure, tout en m’exhortant à le suivre
-Venez,
chevalier! Je connais le refuge de la sorcière! C’est la vieille Serpillière,
j’ai déjà eu affaire à elle. Elle n’est pas des plus accueillante, mais elle
connaît son affaire. Nous sauverons votre écuyer!
Il
quitta le chemin pour s’enfoncer dans la forêt. Son histoire ne m’avait pas
paru très convaincante, mais nous n’avions d’autre choix que de lui faire
confiance. Et les paroles de Merlan me revinrent à l’esprit: « tu aurais
tort de ne compter que sur toi-même si tu veux aller au bout de ton
périple ». Je m’en remis donc à la sagesse de l’enchanteur, et suivi de
Roger, je m’enfonçai à mon tour dans les profondeurs de la forêt...
* * * * * * * *
jeudi 13 juin 2013
dimanche 17 février 2013
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