Notre voyage
durait depuis trois jours, et si nous ne nous étions pas d’abord trompé de
route, erreur dont seule la mauvaise foi de Gilbérald, mon fidèle écuyer,
l’empêchait de reconnaître la responsabilité, nous aurions pu être déjà bien
loin de la capitale. Toutefois, nous avions forcé l’allure dans la journée, et
nous pouvions voir à présent les cimes de la forêt des Horreurs, dont la
réputation était loin d’être excellente, en partie à cause de la présence en
son sein du cyclope Inette, un monstre terrifiant et sanguinaire.
Gilbérald, mon
fidèle écuyer, chevauchait à mes côtés, l’air préoccupé.
-Je me demande
si nous arriverons à temps pour éviter que le général Toultant et ses hommes ne
se fassent mettre en pièces, dit-il. Czxywitzcultac est à tant de lieues
d’ici !
-Il est vrai
qu’à cause de toi, nous avons perdu beaucoup de temps. Mais je ne saurais
douter de mon succès. Dieu a pointé son doigt sur moi, et son petit doigt me dit que le fourvoiement n'est pas mon destin !
-Pourvu que nous ne nous en mordions pas les nôtres...
-Homme de peu de foi, soupirai-je.
-Pourvu que nous ne nous en mordions pas les nôtres...
-Homme de peu de foi, soupirai-je.
Le soir
approchait et faisait peu à peu rougir les nuages, et nos ombres s’allongeaient pour bientôt disparaître dans la pénombre. Une auberge, d’abord
cachée par quelques arbres, apparut sur le bord du chemin, et ses fenêtres
chaleureusement éclairées semblaient nous inviter à venir y passer la nuit.
-Holà,
aubergiste ! criai-je. Une chambre pour la nuit ! Et mène nos chevaux
à l’écurie !
-Bien,
monseigneur.
Nous étions
bientôt attablés devant un bon dîner, quand le tavernier vint nous voir.
-Monseigneur,
dit-il timidement, si j’osais…
-Osez, mon
brave, osez !
-Eh bien en
fait, il s’agit d’une bande de brigands qui sévit dans la région depuis
quelques jours. Leur chef est Rick Iki, un homme dur et violent qui a instauré
un véritable climat de terreur depuis que les soldats du roi ont dû partir pour
garder la frontière Et il a décidé de se venger de moi car je lui ai refusé la
main de ma fille.
-Vous avez une
fille ? dis-je, brusquement intéressé.
-Non,
justement ! C’est bien là le drame ! Sinon, vous pensez bien que jamais je n’aurais pris le risque de lui déplaire.
-Et
qu’attendez-vous donc de moi, brave homme ?
L’aubergiste
se tortilla et enfouit ses mains dans son tablier.
-Si vous
pouviez les mettre hors d’état de nuire, cela me rendrait un fier service, ainsi
qu’à toute la région. Et je pourrai à nouveau dormir sur mes deux oreilles.
Je ne savais
quoi lui répondre.
-Je ne peux
rien vous garantir, vous savez. Je n’ai guère le temps de m’occuper de ça. La
meilleure solution pour vous serait de vous procurer une fille le plus vite
possible.
Je voyais bien
à sa mine désappointée qu’il était loin d’être satisfait de ma réponse. Il
n’aborda toutefois plus le sujet de la soirée, et nous ne tardâmes pas à aller
nous coucher. La nuit se passa sans incidents, et ce fut frais et dispos que
nous reprîmes notre route.
* * * * * * * * *
Nous avions
déjà dépassé l’heure de manger quand Gilbérald, mon fidèle écuyer, me fit
remarquer que nous nous dirigions droit vers la forêt des Horreurs.
-Je le sais
bien, dis-je. Cela te pose un problème ?
-C’est bien là
que vit le cyclope Inette, non ? Ca ne vous effraie pas ?
Je pris un air
indigné.
-Enfin quand
même, continua-t-il, il a déjà vaincu un grand nombre de héros au palmarès
pourtant riche en exploits. Siegfried le Héros et Sire Maginot eux-même n'ont rien pu faire contre
lui !
Je lui
adressai un regard miséricordieux.
-Ne me compare
pas à ces guerriers de bas étage, dis-je, tout juste bons à pêcher à la ligne. La meilleure chose qui puisse arriver
à ce cyclope, c’est de ne pas croiser notre chemin.
-On pourrait
faire le tour, non ?
-Cela ne
ferait que nous retarder ! Et puis ça suffit comme ça, Gilbérald, mon
fidèle écuyer ! De quoi aurais-je l’air si à la moindre difficulté je
dévie de ma route ?
Il ne répondit
rien, mais au bout de quelques minutes, il ne put s’empêcher de me mettre à
nouveau en garde.
-Laissez-moi
ouvrir la marche, mon maître ! Je repense à ces brigands dont nous a parlé
l’aubergiste. Ca ne m’étonnerait pas qu’ils aient installé leur campement aux
abords de la forêt, là où rares sont ceux qui osent s’aventurer. Et ce lieu me
semble propice aux embuscades.
-Tu crains
donc une embuscade, dis-je sans pouvoir m’empêcher de sourire. Tu me feras
toujours rire, Gilbérald, mon fidèle écuyer !
J’avais à
peine achevé ma phrase qu’une flèche vint se ficher dans son épaule. Il pâlit
mais ne tomba pas de son cheval.
-Hardi,
Gilbérald, mon fidèle écuyer ! m’écriai-je en dégainant mon épée. Ce n’est
pas le moment de céder à la souffrance ! Sors ton couteau, et défendons
chèrement ma vie !
Gilbérald, mon fidèle écuyer, payait cher son manque
de vigilance, mais l’heure n’était certes pas aux reproches. Dix rudes gaillards
se ruaient sur nous comme des beaux diables, hurlant et agitant leurs haches, leurs
masses d’armes et leurs glaives au-dessus de leur tête.
Cela me semblait bien dangereux. D’ailleurs, l’un d’eux ne tarda pas à trébucher et à s’empaler sur son épée. Un autre coupa la tête à deux de ses compagnons, ce qui était prévisible, tant son manque d’attention était manifeste. Au même instant, celui qui le suivait s’étrangla sans surprise avec la fronde qu’il faisait tournoyer très maladroitement. Un autre encore tomba bêtement dans un piège à tigre, où il fut transpercé de part en part par des pieux acérés. Son voisin, quant à lui, traversa sans regarder et se fit bien évidemment écraser par un bus, tandis qu’un autre était pris en otage par des terroristes aux idéaux fallacieux. Le plus grand de ces brigands, averti par son majordome que ses actions venaient de chuter de manière catastrophique et que sa femme le quittait, se suicida sans plus attendre. Enfin, celui qui semblait être le chef fut enlevé par un ptérodactyle. Ainsi fut défaite la terrible bande de Rick Iki.
Cela me semblait bien dangereux. D’ailleurs, l’un d’eux ne tarda pas à trébucher et à s’empaler sur son épée. Un autre coupa la tête à deux de ses compagnons, ce qui était prévisible, tant son manque d’attention était manifeste. Au même instant, celui qui le suivait s’étrangla sans surprise avec la fronde qu’il faisait tournoyer très maladroitement. Un autre encore tomba bêtement dans un piège à tigre, où il fut transpercé de part en part par des pieux acérés. Son voisin, quant à lui, traversa sans regarder et se fit bien évidemment écraser par un bus, tandis qu’un autre était pris en otage par des terroristes aux idéaux fallacieux. Le plus grand de ces brigands, averti par son majordome que ses actions venaient de chuter de manière catastrophique et que sa femme le quittait, se suicida sans plus attendre. Enfin, celui qui semblait être le chef fut enlevé par un ptérodactyle. Ainsi fut défaite la terrible bande de Rick Iki.
Il y avait
toutefois un survivant que je ne remarquai pas tout de suite. En effet, le dernier
de ces joyeux drilles courait toujours comme un fou dans notre direction, et je
m’étonnai un instant qu’il soit encore en vie. Il arriva sur nous
en hurlant, mais son élan fut tel qu’il percuta mon cheval de plein fouet et
s’étala de tout son long face contre terre. Je notai alors qu’il n’avait pas
d’arme, ce qui expliquait sans doute qu’il ait pu courir aussi longtemps sans
se tuer lui-même.
Il se releva
avec peine, se tenant la figure à deux mains en gémissant.
-Tout va bien,
mon brave ? lui demandai-je.
-Oui, oui,
monseigneur, dit-il. C’est bien aimable à vous de vous en préoccuper.
Il nous
regarda un instant en se massant le visage sans rien dire, considérant tour à
tour ma bourse bien remplie et ma lourde épée qui pendait à mon côté. Finalement,
il sembla prendre une décision.
-Vous avez cru
que nous vous attaquions, peut-être ? dit-il.
-Ma foi, je
dois bien avouer que l’idée m’a traversé l’esprit.
L’homme éclata
de rire.
-Ah ah
ah ! Qu’allez-vous chercher là !
Il intercepta
mon regard sceptique.
-Bon,
admit-il, on vous attaquait peut-être un peu. Mais moi, j’étais contre !
Le sympathique
bandit n’était pas bien grand, pas très costaud non plus, et il n’avait pour se
protéger du soleil qu’une petite touffe de cheveux roux au sommet de son crâne.
Ses yeux, se réduisant à deux petites fentes, semblaient continuellement sur le
qui-vive.
-Apprends-nous
donc ton nom, mon ami, dis-je.
-Thébault,
monseigneur.
-Merci,
fis-je. Je sais. Quant à ton nom, si tu préfères le garder secret, tu dois avoir
tes raisons. Je suis désolé de m’être montré aussi indiscret. Un passé douteux,
peut-être ?
Je le regardai
d’un air entendu et lui fis un clin d’œil.
-Douteux,
douteux, c’est vite dit, monseigneur, s’offusqua notre ami. Je suis très
influençable, voyez-vous, et Rick Iki, cet infâme brigand, a bien
su profiter de ma faiblesse de caractère. J’ai donc été entraîné malgré moi dans une vie de débauches et de dépravations sans fin, une
spirale infernale à la pente savonneuse. Rendez-vous compte qu'il m’a obligé à commettre vols et assassinats, alors que je
suis allergique à toute violence ! Ah, le calvaire que j'ai enduré, monseigneur ! Moi qui n’aspirais qu’à
élever des abeilles et soigner quelques fleurs dans la paisible retraite d’un
humble petit jardinet.
Je posai alors
ma main sur son épaule.
-Allons mon ami,
tu n’as pas à te justifier ainsi devant moi. Je me moque bien de ton passé, et
ce n’est certes pas à moi de te juger. Mais tu me plais bien, aussi vais-je te
faire une proposition. Que dirais-tu de m’accompagner dans ma quête ? J’ai
besoin d’hommes francs et courageux comme toi !
Il me toisa de
ses petits yeux, dans lesquels je pus lire une certaine suspicion.
-Francs et
courageux comme moi ? Dites, ça ne serait pas un peu dangereux, votre
quête, là ?
-Assurément !
Très dangereux ! Il y a même fort à parier que tu n’en reviennes pas
vivant.
Il recula d’un
pas.
-Bon voyage,
monseigneur !
-Le roi sait
se montrer généreux envers ceux qui ont bien mérité de lui. Si tu m’aides à
sauver le royaume, c’est la gloire et la fortune qui t’attendent !
-Qu’attendons-nous
pour partir ?
-Mais nous
partons sur le champ ! Nous n’avons perdu que trop de temps !
Je m’élançai
déjà sur la route, quand mon nouveau compagnon me héla d’une voix étonnée.
-Et votre
écuyer, monseigneur ! On le laisse ici ?
Je me
retournai et considérai Gilbérald, mon fidèle écuyer, d’un œil circonspect. Il semblait effectivement peu enclin à poursuivre le voyage. Il restait
bêtement planté sur son cheval, qui broutait paisiblement quelques racines sur
le bord du chemin, et il regardait fixement devant lui, l’œil éteint, la langue pendante, le poil terne. Maintenant que j’y pensais, il me revenait en effet qu’il ne m’avait
pas été d’un très grand secours lors de mon âpre bataille contre les brigands.
-Qu’as-tu donc
encore été inventer pour nous retarder ? lui criai-je.
Il resta sans
réactions.
-Je crois, dit
mon ami, que c’est à cause de cette flèche qui lui dépasse de l’épaule.
J’examinai
attentivement l’épaule de Gilbérald, mon fidèle écuyer. Une flèche était
effectivement fichée dans sa chair, et le sang coulait légèrement le long de
son bras.
-Une petite
flèche comme ça ? Tu crois ?
-Eh bien, en
fait, dit le petit brigand en riant d’un air gêné, je crois qu’on l’avait un
peu empoisonnée. Mais ce n’était pas mon idée ! Je crois même me souvenir
que j’étais contre.
Heureusement,
le poison n’était pas fulgurant. On pouvait encore le sauver si on ne tardait
pas trop à trouver l’antidote. Mon sympathique ami me laissa même entendre qu’une
vieille sorcière vivant dans la forêt des Maléfices avait sans doute le pouvoir
nécessaire pour le soigner. La forêt des Maléfices, pour ceux à qui la
géographie de la région est inconnue, était limitrophe de la forêt des Horreurs.
On pouvait considérer qu’il s’agissait là de la même et unique forêt, mais on
faisait quand même la différence, ne serait-ce que parce qu’elles n’avaient pas
le même nom.
-Je ne sais
pas ce qui me retient de te laisser là, Gilbérald, mon fidèle écuyer !
J’avais bien besoin de ça, tiens ! Enfin, nous allons tout de même essayer
de te sauver. Ne t’inquiète pas, Roger m'a confié que le poison ne te tuera pas avant la fin de la
journée, normalement. D’ici là, tu auras le temps de devenir tout bleu, puis
tout vert, puis mauve avec des points jaunes, ce qui au passage sera du plus mauvais goût. Ensuite, tu perdras tes cheveux,
puis tes dents, et tu deviendras aveugle et muet. Et alors tu délireras et tu
auras de terribles accès de fièvre, ta peau se craquellera, tu vomiras du sang
et tu étoufferas lentement pour finalement agoniser dans d’atroces souffrances.
Après l’avoir
ainsi rassuré, je me tournai vers le petit homme.
-Il est assez
rigolo, votre poison, dis-je.
-On s’y est
mis à plusieurs pour le trouver.
-Dis-moi, cela
te dérange-t-il si je te trouve un nom ? Moi-même, je n’en ai pas, mais si
nous devons être deux dans ce cas, nous allons avoir du mal à nous y retrouver.
Tu t’appelleras donc désormais Roger !
Il répéta son
nouveau nom trois ou quatre fois pour en apprécier la sonorité, puis avec un
haussement d’épaule résigné, il me dit :
-Après tout,
pourquoi pas ? Roger, ce n’est pas si mal pour un nouveau départ.
Il était plus
que temps de se remettre en marche, car Gilbérald, mon fidèle écuyer, tournait
déjà au bleu ciel. Et c’est ainsi que nous partîmes gaiement vers la forêt des
Horreurs, sans une seule idée des formidables aventures qui nous y attendaient.